L’intelligence émotionnelle n’est pas un effet de mode
La connaissance des émotions, leur prise en compte, est depuis l’origine à la base du métier de la relation client, même si nous ne parlions pas encore d’intelligence émotionnelle.
Comprendre le client, ses besoins, ses attentes en tenant compte de son expression verbale, paraverbale et non verbale est la condition même de l’excellence de service. Les techniques mises en œuvre par les professionnels de ce secteur permettent tout aussi bien : de créer des parcours client différenciant dans leur capacité à satisfaire ou créer une émotion à chaque moment de vérité, de répondre à une demande, de traiter une réclamation, de désamorcer une relation conflictuelle ou bien encore de permettre aux conseillers de mieux résister au stress lié à la répétitivité des transactions et contrer ainsi le fameux « effet papillon ». Ces techniques sont accessibles par tous. Au passage, beaucoup d’entre elles sont parfaitement présentées dans le MOOC proposé par l’association Esprit de Service France.
Ces techniques métier fonctionnent avec la même efficacité dans le domaine du management et l’on parlera alors de symétrie des attentions. La nécessité de considérer ses employés tout autant que ses clients (et même davantage si l’on en croit Vineet Nayar dans son livre « les employés d’abord, les clients ensuite ») afin qu’ils soient dans les meilleures conditions relationnelles pour représenter une marque n’est plus à démontrer. L’intelligence collective ne peut se déployer pleinement que si l’intelligence émotionnelle à l’échelle de chaque individu dans une équipe est favorisée.
Ces techniques se sont nourries des travaux des psychologues, définissant l’intelligence émotionnelle comme « l’habileté à percevoir et à exprimer les émotions, à les intégrer pour faciliter la pensée, à comprendre et à raisonner avec les émotions, ainsi qu’à réguler les émotions chez soi et chez les autres » (Mayer & Salovey, 1997).
L’intelligence émotionnelle se mesure via un « quotient intellectuel » et s’acquière, selon les psychologues spécialistes de la question Reuven Bar On et Daniel Goleman. Ce dernier par exemple, définit les compétences suivantes :
- Conscience de soi, comprendre ses émotions, reconnaître leur influence et les utiliser pour guider ses décisions.
- Maîtrise de soi, maîtriser ses émotions et impulsions et s’adapter à l’évolution de la situation.
- Conscience sociale, détecter et comprendre les émotions d’autrui et y réagir.
- Gestion des relations, inspirer et influencer les autres tout en favorisant leur développement et gérer les conflits (Goleman, 1998).
Ainsi, la maîtrise de ces concepts et la mobilisation de ces compétences permettraient de s’améliorer dans tous les domaines de la vie, aussi bien dans les relations affectives et intimes que dans l’appréhension des règles implicites qui régissent la réussite professionnelle. L’intelligence émotionnelle permettrait de mieux réussir sa vie !
Mais qu’est-ce que réussir sa vie ? Peut-on dissocier réussite professionnelle et réussite personnelle ? Est-ce un résultat ou un processus ? Atteindre un statut social, un niveau de performance ? Satisfaire les besoins de la pyramide de Maslow jusqu’à l’accomplissement de soi ? Là encore une partie des réponses se trouve sans doute dans la relation à ses émotions et à celles d’autrui.
Je vous partage une de mes joyeuses lectures de l’été A nous la liberté ! de Christophe André, Alexandre Jollien et Matthieu Ricard. Discussion entre un psychiatre, un philosophe et un moine, sur le chemin qui nous conduit vers la liberté intérieure, je cite : « la liberté consiste à établir un dialogue intelligent avec ses émotions et à apprendre à les laisser se défaire d’elles-mêmes à mesure qu’elles surgissent ». L’entrainement de l’esprit, la méditation notamment, donnent des outils pour « allier une plus grande paix intérieure à une plus grande ouverture à l’autre. Moins vulnérables, nous devenons plus disponibles à autrui ».
Ainsi donc comprendre pourquoi je ressens de la joie, de la colère, de la peur, de la tristesse, de la surprise ou du dégoût (pour reprendre la typologie établie par le psychologue Paul Eckmann) m’aide à me sentir mieux et facilite ma relation aux autres. Essentiel, lorsque l’on sait qu’une étude de l’OCDE a démontré que la qualité des relations humaines est le premier facteur de bien-être.
Pour finir, et à l’heure où les progrès de l’intelligence artificielle posent un débat de plus en plus anxiogène sur le possible remplacement de l’être humain par des robots, la question existentielle est de nouveau posée : qu’est-ce que l’être humain ?
Je vous propose cette réponse d’Antonio Damasio dans L’ordre étrange des choses : « Les humains sont vivants ; les humains ont des sentiments – caractéristiques dont les robots sont privés ». « C’est la perception des émotions qui cause nos vulnérabilités, qui nous permet d’être en empathie avec la souffrance et la joie d’autrui. En un mot, c’est sur la perception des émotions que repose la majeure partie de ce qui constitue la moralité et la justice, et c’est elle qui fait le fondement même de la dignité humaine. »
On voit bien que l’on n’a pas fini de parler d’intelligence émotionnelle ! Alors que certaines cultures ou certaines générations ont posé pour interdit la démonstration de ses émotions, leur réhabilitation ouvre un nouveau champ de bonheur et d’humanité potentiels ! Perspective dont nous ne pouvons que nous réjouir !
Photo de Lesly Juarez sur Unsplash