Est-il nécessaire d’avoir une vision pour diriger ?

Est-il nécessaire d'avoir une vision
 pour diriger ?

Au risque d’aller à contre-courant des articles sur le leadership qui égrainent des listes des softskills requis pour tout « bon capitaine d’industrie désirant affronter le monde de demain » selon la formule consacrée, j’ai au cours des années acquis l’intime conviction qu’il n’existe pas un modèle, mais des modèles, et que le plus important est de trouver son modèle de leadership.

Afin de répondre à la question et alors que nous avons pris l’habitude d’ériger la qualité de visionnaire d’un dirigeant comme le critère premier qui le différenciera d’un simple manager, je propose d’apporter quelques nuances à cette conviction. Le monde de l’entreprise n’est pas le monde idéal mais le monde du réel. En bref, je recommande vivement de se détendre un peu sur le sujet !

Pour être pragmatique et pour éclairer les leaders en herbe, il est important de dire par exemple que le contexte de l’entreprise dans laquelle vous projetez votre immense carrière aura une incidence directe sur votre capacité à exprimer votre vision. Ainsi, tout au long de votre parcours vous pourrez exprimer des grandes visions comme des petites visions, des visions collectives comme des visions individuelles, des visions publiques comme des visions intimes.

Dans certains contextes de crise ou de redressement par exemple, il n’est tout simplement pas souhaitable – ni même souhaité – que vous fassiez cavalier seul. Vous serez alors en mode exécution d’une feuille de route détaillée, avec une armée de bonnes âmes pour contrôler que vous ne vous écartez pas trop du chemin tracé pour vous. Votre talent s’exprimera alors dans votre capacité à fédérer et entrainer une équipe dans un contexte difficile. Votre vision s’exprimera non pas sur la mission de l’entreprise mais plutôt sur votre modèle de management, votre façon d’être avec vos équipes, votre façon de leur donner force et courage pour tenir le cap !

Dans une grande organisation, le challenge consiste essentiellement à trouver sa place. Il vous sera alors demandé de construire une vision pour votre activité afin de mieux exécuter la vision de l’entreprise, portée par le collectif. Le travail d’une équipe de leadership se conçoit en effet comme l’art de décliner une vision en autant de visions que de périmètres de responsabilité sans jamais dénaturer la vision d’ensemble. Cet art, ou devrais-je dire ce sport, est d’autant plus périlleux que les ego trouvent toujours le moyen de s’exprimer et de batailler pour prendre un maximum de lumière. Il n’y a rien de plus instable que l’équilibre harmonieux au sein d’une équipe afin que chacun trouve sa juste place et apporte sa meilleure contribution. Les visions des uns peuvent alors se transformer en stratégies de pouvoir et progressivement s’éloigner de la mission de l’entreprise ou des impératifs du business. Et je ne parle pas des organisations où le « diviser pour mieux régner » est la ligne de conduite encouragée. Votre vision pourra alors se limiter à la façon la plus efficiente de délivrer ce qui vous est demandé, ce qui peut en soi être source de défis et de progrès conséquents. N’oublions pas que « le diable est dans les détails ». Là encore, votre capacité à innover, entrainer et former vos équipes sera l’essentiel de votre valeur ajoutée et votre façon d’affirmer votre leadership.

Il est également fréquent que le dirigeant à la tête de l’entreprise considère qu’il doit être le seul porteur de sa vision. Si vous n’êtes pas ce dirigeant (ce qui est statistiquement le cas le plus fréquent !) vous pouvez vous retrouver dans la situation de développer une vision qui pourrait être meilleure pour l’entreprise que celle de votre patron. Il vous sera alors conseillé de taire votre vision, ou bien de l’exécuter ailleurs… Vous devrez faire preuve d’agilité pour conserver votre alignement auprès de vos équipes tout en maitrisant vos émotions et frustrations intérieures. Cela sera déterminant pour conserver le contrôle de votre carrière et décider du plus opportun entre partir ou attendre le départ de votre patron. Ces périodes sont toujours intéressantes pour développer votre propre vision de la loyauté envers l’entreprise et des limites que vous posez. Votre énergie sera alors essentiellement consacrée à élaborer des stratégies de défense vous permettant de vivre la situation le plus sereinement possible, ou devrais-je dire avec le moins de souffrance possible dans le temps que vous aurez fixé. Ces discussions intimes sont extrêmement formatrices car elles vous apprennent énormément sur vous-mêmes, vos forces, vos fragilités, vos valeurs et vous permettront d’affiner votre modèle personnel de leadership, votre singularité. Plus vous le clarifierez et l’incarnerez et plus votre leadership gagnera en authenticité, et donc en impact.

Le modèle start’up ou le contexte d’hyper croissance est celui qui vous apportera le plus de liberté pour exprimer votre vision car quelles que soient les tailles d’équipes, la créativité et la vitesse d’exécution priment sur tout le reste. Il faut foncer quoiqu’il en coûte et même si c’est pour aller dans le mur. L’enthousiasme des équipes et leur énergie vous portera au-delà de vous-mêmes. Ces moments sont grisants – quoique rares – généralement dans une carrière, raison sans doute pour laquelle certains leaders deviennent des « serial entrepreneurs ».

Autre préjugé que je souhaiterais faire tomber, c’est l’idée qu’une vision est quelque chose qui nous tombe dessus un matin en se levant. Je crois au contraire qu’une vision est le résultat d’un travail et qu’elle peut être une œuvre collective.

C’est la différence entre une idée et une vision. L’idée peut venir vous surprendre parce qu’un jour vous avez fait face à une situation imprévue et qu’une solution s’est imposée d’emblée par le jeu de vos émotions et intuition. De cette idée va naître des questionnements, des doutes, des recherches qui vont progressivement vous aider à architecturer votre solution. Vous allez ensuite la confronter à votre entourage, la challenger, la tester et ainsi d’un brouillon, en béta, en prototype… petit à petit votre confiance s’établira et vous serez à même d’expliciter votre idée, la façon de la mettre en œuvre, les compétences dont vous allez avoir besoin… le processus de création d’entreprise est enclenché. Plus vous la travaillez et plus votre vision s’affine. Comme disait Jack Welsch :

« Good business leaders create a vision, articulate the vision, passionately own the vision, and relentlessly drive it to completion ». Cela donne une idée de la masse de travail dont il est question. On est loin de la révélation qui vous vient un soir sur la plage le regard perdu sur le coucher de soleil !

Je recommande par ailleurs systématiquement de partager ses idées, ses questionnements sur le futur avec ses équipes sans appréhension. Une vision peut en effet se construire en collectif et c’est le moyen le plus efficace d’accompagner le changement. A chaque fois que j’anime un séminaire vision, c’est toujours avec la même exaltation ! Les équipes démarrent systématiquement avec la sensation du challenge impossible à relever et s’émerveillent ensuite de constater la cohérence de la réflexion d’ensemble sur ce qui est déjà présent pour construire le futur. Non seulement les craintes sont levées au fur et à mesure que l’équipe prend conscience qu’elle a déjà les solutions ou expertises pour relever les challenges à venir, mais surtout la jubilation arrive lorsque l’on réfléchit à 10 ans, qu’aucune contrainte du quotidien n’est valable et que les scenarii les plus fous sont envisagés. Le rêve reprend sa place le temps d’un séminaire et chacun repart en confiance sur sa capacité à gérer les incertitudes du lendemain.

J’espère qu’en partageant cette pointe de réalisme avec vous j’ai réussi à démystifier cette Vision avec un grand V que l’on cherche parfois désespérément tellement on imagine quelque chose hors de notre portée.
Nous ne pouvons pas tous être Steeve Jobs, Jack Welch, Obama ou Gandhi – pour les hommes – ou Simone Veil, Mère Teresa, Christine Lagarde ou Céline Lazorthes – pour les femmes. Mais nous pouvons tous être notre héros à notre niveau et dans notre domaine.
Votre vision de votre rôle, de vos valeurs, de votre expertise est votre socle, la seule qui compte pour trouver la force, la confiance et le courage d’embrasser un grand destin, celui d’accomplir votre vie !

Photo by Chase Clark on Unsplash