Nous traversons une crise sanitaire inédite, violente, imprévisible. Cette pandémie nous atteint à l’échelle du monde comme à l’échelle individuelle. Les cellules familiales, sociales se recomposent et vivent, à l’heure du confinement, de nouvelles relations.
S’arrêter.
Chacun l’a vécu à son propre rythme, mais progressivement il a bien fallu se rendre à l’évidence, nous allions devoir nous arrêter. Nous arrêter de bouger, nous arrêter de nous déplacer, nous arrêter de courir… nous arrêter de travailler. Nous sentions déjà, avant, les difficultés à tenir le rythme, à résister à cette frénésie d’activités toujours plus rapides, l’exigence de performances toujours plus élevées, de profits toujours plus importants. Certains tenaient le rythme, d’autres ont décroché, prônant le retour à la décroissance, à la frugalité, d’autres enfin ont craqué, victimes de burn-out. Alors cet arrêt imprévisible et brutal se pose et s’impose comme une étape dans nos trajectoires de vie.
Qu’allions-nous en faire ? Dans un premier temps, la peur du vide, comment occuper ce temps redevenu disponible ? Pause. Repos. Et puis progressivement, de nouveaux repères, de nouveaux rituels, de nouveaux rendez-vous. Pour ceux qui télétravaillent, les conférences qui s’enchaînent et le temps qui recommence à filer, happé par l’extérieur depuis la fenêtre de son ordinateur. Avec en filigrane la question du sens. Pourquoi continuer de travailler quand l’activité est à l’arrêt ? Maintenir l’illusion de l’activité, pour se rassurer ? Se dire que cela va repartir, vite, bientôt, et se préparer à l’imprévisible ? Pour ceux qui ne peuvent plus travailler, comment garder cette valeur d’utilité, conserver son estime de soi, lorsque certains travaillent plus que jamais et exposent leur propre santé pour conserver la nôtre ? Exprimer sa gratitude envers les personnels soignants et toutes les professions qui nous permettent de subvenir à nos besoins essentiels, apparait comme une nécessité. Toutes ces pensées, ces actions, ces engagements prennent la place laissée vide par la vie d’avant, en n’oubliant pas, cette fois, de garder du temps pour soi. Parce que ce sera long, parce qu’on ne sait pas ce que cela sera, après, et qu’il faudra bien continuer de faire face.
Se retrouver.
Ce confinement a porté en lui le choix du qui, avec qui se confiner pour 15 jours ? En sachant très bien que cela serait pour un temps long, dont on n’ose toujours pas énoncer la durée prévisible. Car dès la mise en place du confinement, nous avons appris qu’il existe une méthode, des expériences dans d’autres pays sur lesquelles s’appuyer. Alors pourquoi ne pas dire que ce confinement durera probablement deux mois ? Parce que s’inscrire dans le temps long cela permettrait à chacun d’élaborer sa propre stratégie. Organiser la vie des parents avec les enfants c’est comme prendre des mesures pour les entreprises avec leurs salariés cela supporte difficilement l’improvisation.
Vivre le confinement dans ce face à face obligé avec ses enfants, son conjoint, une fois les ainés mis à l’abri. On ne peut plus s’échapper, on ne peut plus reporter les nécessaires réglages pour que la cohabitation soit vivable, que chacun conserve son espace de liberté tout en étant dans une proximité H24. On ne peut plus claquer la porte et partir en remettant au lendemain la définition des règles de vie nécessaires à une relation harmonieuse. Affronter les frustrations, les peurs. Dire ce que l’on a gardé sur le cœur. Gérer les relations dans la cellule familiale, parce qu’il y a urgence, parce que l’on sent bien l’anxiété, l’angoisse parfois, et que l’on est plus fort lorsque l’on se soutient. La situation est sérieuse, grave, elle appelle la responsabilité des adultes, la prise en charge des plus vulnérables, revenir à l’essentiel, être présent pour ceux que l’on aime, ici et maintenant, dans l’incertitude du lendemain.
Vivre le confinement en établissant des ponts d’une cellule familiale à l’autre et reprendre l’habitude de se téléphoner, parce que la vie est trop courte, parce qu’il y a urgence, parce qu’il faut prendre le temps de tout se dire. Finis les SMS expéditifs, nous n’avons plus le temps de reporter les vraies conversations. Et puis, échanger des blagues, des vidéos sympas pour garder le sourire, évacuer son stress.
Vivre le confinement dans ce face à face avec soi-même et trouver de nouveaux repères, se questionner sur le sens de sa vie, finir les travaux entrepris, faire preuve de créativité, retrouver le goût de l’exercice physique lorsqu’il est devenu interdit, le goût du lien lorsqu’il est contraint, le goût de la méditation parfois, pour ne pas perdre pied.
Vivre le confinement dans ce face à face avec le monde, via les réseaux sociaux. S’informer, essayer de comprendre ce qui nous est tombé dessus, comment en sortir, comment les autres pays déroulent leur propre stratégie selon leur modèle politique et leurs moyens. Et observer la mise en confinement progressive de la moitié de la planète au moment où j’écris ses lignes.
Se surprendre à rêver et s’engager.
Et si cette crise, comme toutes les crises, comportait son lot d’opportunités, révélait les absurdités d’un monde oublieux des questions essentielles au bien-être des femmes et des hommes et à la préservation de la planète. J’entends tout autour de moi « rien ne sera plus comme avant » « notre rapport au travail sera définitivement changé ». Et si un modèle plus solidaire pouvait émerger de ce chaos.
Je suis une optimiste humaniste, passionnée par le monde de l’entreprise. J’observe les changements opérés dans certaines organisations qui misent sur la symétrie des attentions entre leurs salariés et leurs clients pour renouer avec la performance et la croissance. Ces modèles ont fait leur preuve. Et s’ils pouvaient être les prémices ou les laboratoires d’une nouvelle société basée sur la confiance, la liberté, l’égalité et la solidarité ? Les raisons d’être de ces entreprises, les entreprises à mission, qui s’engagent dans le monde en mode « adulte » pour mettre l’humain et l’environnement au cœur de leur stratégie, pourraient inspirer les dirigeants de nos états à démarrer courageusement la réforme d’une gouvernance mondiale basée sur l’entraide et permettre à l’humanité de régler les questions sanitaires les plus criantes.
Et puis à notre échelle, celle de notre foyer, nous pourrions revenir au bon sens, garder les nouvelles habitudes de solidarité pour toujours. Par exemple, s’engager à consommer les produits du terroir, faire travailler les artisans du coin, respecter les personnels des services publics, des services à la personne, limiter ses déplacements et ses déchets, proposer son aide aux plus vulnérables, prendre des nouvelles du voisin, être attentif à sa famille et à ses proches, éduquer ses enfants, cultiver la relation avec son conjoint, prendre soin de soi…
Je forme le vœu que cette crise mette un terme à la procrastination. Je forme le vœu qu’elle nous oblige à agir vraiment, profondément, courageusement, individuellement, solidairement pour améliorer notre monde. Je forme le vœu que l’ensemble des actions que nous aurons pu mener dans cette période si particulière, nous rende notre dignité et notre fierté. Je forme le vœu que de ce chaos sorte un nouveau modèle de solidarité, qui redonne l’espoir à nos enfants.
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