Solitude [du dirigeant]

À l’heure où la date de fin du confinement a été annoncée par le Président de la République, un immense sentiment d’urgence gagne les dirigeants des entreprises. La date du 11 mai apparaît comme la ligne de départ d’une course de longue haleine, au cours de laquelle chacun devra faire preuve de sérénité, de courage et d’agilité pour traverser la tempête annoncée de la reprise.
Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance lance un appel aux investisseurs, leur demandant de « repartir tout de suite après le 11 mai en investissement, en projets, en innovation. Il ne faut pas se dire que l’on prend quelques mois pour faire un bilan ou pour raconter le grand récit de cette crise. Cela nous permettra d’éviter une récession ». Il l’a dit, mais il n’est pas le seul, cette injonction est dans toutes les bouches. 

Les crises agissent toujours comme des révélateurs de talents. C’est dans les situations difficiles que l’on reconnaît les leaders. Ceux qui savent relever la tête et entraîner leurs équipes derrière eux, avec calme et détermination, quelles que soient les incertitudes dans lesquels chacun est plongé. Gérer une crise a ceci de particulier de propulser les équipes dans une urgence de mise en action, de créativité et d’innovation. Combien de dirigeants font déjà le bilan à mi-parcours du temps de confinement, pour dire combien ils sont fiers des initiatives prises par les équipes pour sortir du cadre, pour Faire, sans se poser la question de « est-ce qu’on l’a déjà fait ? » – la question qui habituellement tue toutes les initiatives. Cette fierté commence à galvaniser les équipes, à redonner des repères, à définir – aussi incroyable que cela puisse paraître – une nouvelle routine dans son travail, dans ses relations aux autres, dans l’équilibre nouveau qu’il a bien fallu trouver entre sa vie professionnelle et sa vie personnelle.

Mais c’est déjà fini ! La date de la fin a été annoncée. Il faut se préparer. Se préparer à l’Après, sans avoir aucune information permettant de dessiner cet Après. Est-ce qu’on refait comme avant ? Est-ce qu’on en profite pour tout changer ? Alors les équipes se préparent mentalement, moralement, à repartir au combat. Et tous les regards, immanquablement, se tournent vers leur dirigeant. Quelles sont les consignes ? Quelles sont les instructions ? Quelle est la vision ? Et une fois de plus, le dirigeant prend sur ses épaules, la responsabilité, lourde, de définir l’indéfinissable et d’engager ses équipes. Encore faut-il trouver la force de se réengager soi-même… Alors, je me permets ici de vous donner 3 conseils.

Plus que jamais il faudra savoir donner un cap.

Et si c’était le temps de faire une pause justement ? De prendre le temps de poser une réflexion. De partager ses doutes. De partager ses interrogations. Et de construire des réponses, dans ce temps de rassemblement, de proximité inédite avec ses équipes, avec ces nouveaux talents qui ont émergé de cette situation de crise. J’ai toujours entendu que ce n’était pas dans la tempête que l’on faisait des brainstormings. Mais j’entends aussi « Il n’est rien de constant si ce n’est le changement » et j’observe ce chaos. Alors si on profitait de cette crise profonde, pour marquer un temps et observer autour de soi ce qui fait sens, ce qui est réellement le capital de votre entreprise, ses fondamentaux, cette raison d’être, cet ADN qu’il est plus que temps de refonder pour rebâtir une nouvelle vision. C’est cette vision qui donnera un nouvel élan et fera renaître l’enthousiasme et l’énergie de la reconstruction.

Plus que jamais il faudra veiller à se ménager.

Cette crise est arrivée de façon brutale, rapide, mais on voit bien qu’en sortir demandera du temps. Par ailleurs, cette crise a révélé l’inefficacité des stratégies de court terme, la nécessité de les repenser, tant au niveau des entreprises que des états, sur des temps longs pour préserver les ressources – humaines et environnementales. Veiller à la bonne santé de son écosystème c’est se préserver des secousses à venir en laissant toute sa place à la solidarité. Cette écologie se joue tout aussi bien à l’échelle de soi. Ce n’est pas un sprint mais un marathon dans lequel chacun est engagé. Prévoir du temps de ressourcement, d’inspiration, de préparation, de réparation, de repos fait partie intégrante du temps de travail lorsque l’on est aux responsabilités. Ce n’est pas toujours assumé et pourtant c’est essentiel. Est-ce qu’un sportif se lancerait dans une compétition sans être entrainé ? Le plan d’action du dirigeant se joue donc à deux niveaux. Au niveau collectif, il s’agit de redéfinir un plan stratégique à long terme 10, 20 ou 30 ans pour réengager les équipes et soi-même sur le projet, mais aussi pour disposer de la boussole permettant de définir les priorités du quotidien (Cf. la stratégie des petits pas). Au niveau individuel, le plan permet de doser son effort sur la durée, afin d’accompagner chaque étape avec le bon niveau d’intensité. Être prêt, autant que faire se peut, et en intégrant le temps de gestion des aléas qui continueront d’arriver quoique l’on fasse.

Plus que jamais il faudra apprendre à bien s’entourer.

Dans ce travail de prise de recul et d’introspection, une vérité apparaît à chaque fois, votre capital principal est votre capital humain, les femmes et les hommes qui vous entourent. Il est plus que temps d’ouvrir larges les oreilles et de consulter vos équipes, vos clients, vos partenaires, vos fournisseurs, votre réseau professionnel et personnel. Comme je l’ai dit plus haut, les crises agissent comme des révélateurs : vous savez aujourd’hui sur qui vous pouvez vraiment compter. Prenez toute la mesure de ce constat, vous avez touché du doigt le monde réel ! Le réel de vos intérêts communs. Le réel de vos valeurs partagées, Le réel de l’authenticité de votre relation. Le réel du sens que vous donnez à vos actions conjointes. Le réel de l’envie que vous avez de collaborer. Ecoutez la petite voix de votre intuition qui vous guide vers les bons choix. Peut-être cela est difficile de faire ces choix. Nous avons parfois tendance à nous installer dans des relations insatisfaisantes par lassitude ou lâcheté. Mais ici et maintenant, c’est vital ! Plus vous partagerez avec sincérité vos doutes et vos choix et plus vous renforcerez vos liens avec vos vrais alliés, ceux dont vous avez vraiment besoin pour construire votre futur en vous préservant et en préservant ceux qui comptent pour vous. C’est avec eux que vous allez co-élaborer votre nouvelle vision. Ce sont eux qui vont vous soutenir et vous porter tout au long de cette nouvelle aventure.

Cette crise a pris la forme d’un virus dont il s’agit de se préserver et de guérir. Elle touche les entreprises car on l’oublie souvent l’entreprise est un organisme vivant, dont les femmes et les hommes constituent les cellules. La bonne santé d’une entreprise passe par le respect de l’écologie de chacune de ses cellules. Le dirigeant n’est pas seul, il n’est rien d’autre qu’une de ces cellules. Avoir la clairvoyance et l’humilité d’agir en conséquence, c’est agir en responsabilité, pour son bien-être, celui de ses équipes et donc pour conserver la vitalité de son entreprise.

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